Vers l’avènement d’une économie basée sur le don
Dans bien des conversations du quotidien où l’on se prend à
rêver d’un avenir meilleur, l’on se retrouve aussi parfois face au
questionnement suivant : par quoi pourrait-on bien remplacer l’argent ?
S’agirait-il de revenir au troc ? Mais, en réalité, la chose n’est pas si
simple. Car, en effet, aujourd’hui, nous connaissons l’existence de communautés
d’individus qui offrent leurs services gratuitement, sans gain immédiat. Cela a
commencé avec l’avènement d’internet qui, l’air de rien, a annoncé les prémisses
d’une véritable révolution du modèle économique à l’échelle mondiale.
Il est possible que vous pensiez que la chose est insensée,
qu’il est improbable que qui ce soit donne de son temps et offre ses
compétences sans contrepartie matérielle. Pourtant, l’exemple le plus flagrant
dans ce sens est peut-être celui qui vous permet, ne serait-ce qu’en partie, de
lire ces lignes. Cet exemple, c’est celui du logiciel libre ! Partout dans le
monde, des communautés de développeurs travaillent sur leurs logiciels et en
donnent l’accès gratuitement à qui souhaiterait en faire usage, les modifier à
sa guise ou les améliorer. La seule chose que les meilleurs d’entre eux peuvent
espérer recevoir en contrepartie, c’est la popularité et la reconnaissance au
sein de leur communauté.
Mais l’exemple ne s’arrête pas là. Car, en effet, internet
est venu avec son lot de nouvelles idées et un certain vent de liberté en
réduisant le poids des frontières. Il existe ainsi d’autres exemples tout aussi
parlants dans le sens du service sans contrepartie, comme Wikipedia, à
travers lequel plusieurs chercheurs et amateurs partagent aujourd’hui, à titre
gracieux, leurs connaissances autour de divers sujets. Cela vaut également pour
CouchSurfing, qui permet à des personnes de voyager partout dans le
monde et d’être hébergé chez une personne appartenant à la communauté, avec la
seule conviction qu’elle sera également accueillie par une autre personne
lorsqu’elle souhaitera voyager. C’est ce qu’on appelle la réciprocité
indirecte : tu m’apportes ton aide et une autre personne t’apportera la
sienne.
Voilà déjà quelques exemples qui, bien que cela reste dans
le domaine du virtuel, nous permettent déjà de dire qu’une économie basée sur
le don pourrait être tout à fait envisageable. On pourrait alors se poser la
question : une économie sans argent pourrait-elle être un jour possible ?
Mais la bonne question qu’il faudrait poser serait plutôt : a-t-on
vraiment besoin de l’argent pour construire une économie ? Et si l’on se réfère
au sens étymologique du terme « économie », l’on découvre que cela
signifie tout simplement l’administration du foyer. Ce n’est donc en aucun cas
lié à une question de rentabilité.
Des exemples vivants pour l’économie du don
Outre les exemples cités plus haut, il existe des exemples
encore plus concrets, qui ne concernent pas seulement des services, mais des
biens. Cela vaut, par exemple, pour les Umsonst Landen, très populaires
en Allemagne à la fin des années 90 et où tous types d’objets usagés étaient
gratuitement mis à la disposition de qui en veut : des vêtements, des cds,
des livres, des jouets et autres articles. Ces boutiques gratuites existent
également en Espagne, avec La Tabacalera et le Patio Maravillas à
Madrid, ainsi que Can Masdeu à Barcelone et font figure de véritables
pionniers du genre.
Mais si certains anthropologues s’accordent à dire que les sociétés
de chasseurs-cueilleurs — c’est-à-dire avant l’invention de l’agriculture —
fonctionnaient sur la base de l’économie du don (bien que l’on aurait tendance
à penser qu’ils avaient plutôt recours au troc), il faut bien se rendre compte
que l’économie du don existe toujours à travers ce qu’on appelle « les
cadeaux », que l’on échange dans de petites communautés comme la famille,
des groupes d’amis ou encore des villages. Par ailleurs, le terme
« Gift » en anglais se traduit à la fois par don et par cadeau.
Par contre, si nous vivons aujourd’hui dans une économie de
marché, c’est à la base pour répondre à un besoin d’extension de communautés
humaines qui se sont de plus en plus éloignées, là où il est devenu impossible
de voir et de percevoir tout le monde, condition nécessaire à l’établissement
de la culture du don. Le hic, c’est que l’économie de marché est arrivée à un
point où elle n’apparait plus soutenable. En parallèle à cela, internet semble
aujourd’hui être un nouveau moyen qui pourrait bien aider à rendre une économie
basée sur le don viable à grande échelle.
L’économie collaborative comme étape transitoire
Internet, en réduisant le poids des frontières, a permis
l’émergence d’un nouveau type d’économie qui se construit en coexistence avec
l’économie de marché : l’économie collaborative. Grâce aux diverses
communautés qui ont pu se construire par le moyen d’internet, au-delà de toutes
frontières terrestres, des projets innovants ont pu voir le jour pour
construire une particularité qui a donné naissance à ce nouveau modèle
économique que l’on appelle économie collaborative.
Ainsi, des projets se multiplient sur internet pour
construire une nouvelle façon de consommer, donnant lieu à ce que l’on appelle
la consommation collaborative. Nous en donnerons pour exemple la multiplication
des sites de covoiturage, de vente ou troc entre particuliers, d’échange
d’appartements, de cours en ligne et bien d’autres. Cependant, la coexistence
avec le modèle économique dominant actuel qu’est l’économie de marché fait que
des entreprises se précipitent sur ce genre de projets soit par l’intermédiaire
d’un rachat soit par le lancement directement, s’inscrivant ainsi encore une fois
dans la logique du profit et de l’intérêt personnel avant celui de la
communauté.
L’économie du don plus viable que l’économie de marché
Ce n’est aujourd’hui un secret pour personne. L’économie de
marché engendre la peur du manque, la séparation, l’exclusion ; elle nous
pousse à suivre une logique consumériste où le profit prime et où l’individu est
au centre ; elle produit le manque, l’insécurité, les guerres et alourdit
l’impact environnemental de l’activité humaine. A contrario, l’économie du don
permettrait de rétablir un climat de confiance, d’être plus dans la coopération
que dans l’individualisme consumériste, de vivre dans un climat de confiance,
mais aussi de réduire l’impact environnemental de l’activité humaine.
Mais intéressons-nous d’abord au présent. Mise à part les
projets que nous avons cités ou évoqués plus haut, dans quel contexte
pourrait-on bien trouver des individus réunis dans une communauté où ils
donnent de leur personne et où ils peuvent s’organiser de manière efficace sans
attendre de profit en retour ? La réponse est simple : les associations !
On n’y pense peut-être pas assez souvent, mais les associations pourraient très
bien servir de base à la construction d’une économie basée sur le don.
À la question de savoir pourquoi des personnes se réunissant
en communauté pouvaient autant s’investir dans des projets sans en attendre de
profit, des chercheurs de l’Université de Californie et de l’Université de
Standford nous révèlent que les démarches désintéressées nous font nous sentir
meilleurs que lorsque nous recevons une compensation en échange. D’autre part,
les recherches neurologiques montrent que les mécanismes activés dans le
cerveau par l’altruisme sont les mêmes que ceux activés par du chocolat ou par
le plaisir sexuel.
Voilà donc un autre point important que l’économie du don
pourrait nous apporter et que l’économie de marché n’apporte pas (l’argent ne
fait pas le bonheur) : le bonheur !
Le Crowdfunding comme rampe de lancement pour l’économie du don
À l’heure actuelle, le Crowdfunding permet, par la
participation financière de plusieurs personnes qui se reconnaissent dans un
projet ou qui veulent en soutenir un (ils constituent ainsi une communauté), de
mettre sur pied un projet qui n’aurait peut-être pas pu voir le jour via les
moyens de financements classiques, ou tout du moins avec une liberté plus
restreinte. Le Crowdfunding s’inscrit donc dans l’économie collaborative,
puisqu’il se repose sur la confiance et qu’il permet de réaliser ses projets
sans se reposer sur le système financier classique. Mais il ne réchappe pas
pour autant au modèle économique classique, puisqu’il fait nécessairement appel
au système monétaire.
Pour le moment, le type de Crowdfunding qui irait plus dans
le sens de l’économie du don, serait le Crowdfunding caritatif, qui est basé
sur le don comme moyen de financement. Combiné à ces communautés aux actions
désintéressées que sont les associations, comme c’est le cas sur Cotizi.com, la
notion de profit s’en retrouve éliminée des deux parties en jeu. Il ne reste
donc plus que la dépendance par rapport au système monétaire. Ce serait ainsi
l’ultime étape pour aboutir à un modèle économique qui se rapprocherait de
l’économie du don en terminant l’articulation entre la communauté web et les
communautés agissantes sur le terrain que sont les associations.
Le web et les nouvelles technologies de manière générale
allant de plus en plus vers des évolutions rapides, nous sommes peut-être à
l’aube d’une prochaine évolution, à partir du Crowdfunding, vers de nouvelles
plateformes qui permettraient, non pas de réunir des moyens financiers pour
payer le matériel et les services nécessaires pour la réalisation de son
projet, mais plutôt de réunir directement le matériel et recourir aux services
nécessaires.
En effet, lorsqu’on parle de don, il ne s’agit pas
uniquement de ce que l’on donne, mais également de ce qu’il nous a été donné.
Dans un esprit de partage — une des conditions de la mise en place d’une
économie du don — il s’agit aussi et surtout de partager avec les autres
membres de sa communauté les dons dont on dispose. En d’autres termes, dans
chaque communauté, chacun fait ce qu’il sait le mieux faire pour le bien de
cette même communauté.
L’économie du don, rêve utopiste ou notre futur modèle économique
? Seul l’avenir nous le dira, et cela risque d’arriver plus vite qu’on ne le
pense…
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